la frontière
Il ne fallait pas la dépasser, la franchir
Kein Grenzübergang
Deux mots qui claquent,
frappent, hachent, séparent
l’ici de là-bas
ici, c’est l’heure de la victoire
on est debout, on rit, on crie, on chante
la terre redevenue à soi
là-bas, de l’autre côté de la frontière
on ne sait plus, on s’affaire, on tente, on creuse
le sillon d’un avenir aveugle
on retourne la terre
nourrie des morts
la terre brûlée
encombrée des ruines
là, oubliés
décharnés
des enfants,
morts de quelques heures, quelques jours
mis en terre
laissés là
parce qu’on ne pouvait plus rester
parce que la guerre commençait
la première des deux guerres
enfants-morts
bornant le chemin
de ma famille
partie
à la recherche d’un ailleurs
pour vivre
avant de repartir
de quitter
cet ailleurs
et de venir
de ce côté-ci de la frontière
petites croix éphémères
restés là-bas
sur un carré de terre
dans un cimetière
tremblé
petits fantômes
toujours présents
voilant les lieux de leur passé
obscurcissant
l’après
de nous tous
laissés sans mémoire
erratiques
dans le silence des commencements
dans l’effacement
la présence
l’ordre des choses qui s’enchaînent,
explosent et se métamorphosent
la chute prévisible
pourtant la vie